Les faits sur les lois interdisant certaines races de chiens et la raison de leur échec

Auteur : Bill Bruce

Au moment où il écrivait ces lignes, l'auteur était Directeur des services animaliers et des règlements, Agent principal d’exécution des règlements,
attaché aux Services de protection de la Ville de Calgary. Il est aujourd'hui à la retraite. Son texte a été traduit par la caacQ (association des Centres d'adoption des animaux de compagnie du Québec), il est publié ici avec l'autorisation de l'auteur.


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Bill Bruce en compagnie de (à gauche) Johanne Tassé, Fondatrice de la caacQ et (au centre) Nikeae Michalchuk, agente de la paix à Calgary, spécialiste en comportement des chiens agressifs - Mars 2011 - Ville St-Laurent, Qc.


Les lois interdisant certaines race de chiens, ou interdictions de races, sont en place depuis environ vingt-cinq ans. #

Ce concept repose sur une croyance sans fondement scientifique selon laquelle certaines races de chiens sont plus susceptibles d’agresser les humains, et donc la croyance selon laquelle l’élimination de ces races éliminera les attaques contre les humains.

Cette croyance émane d’une perception imposée par les médias : lorsqu’un chien d’une race qui n’est pas visée par la législation mord un humain, on en fait à peine mention dans les nouvelles locales; lorsqu’une race « ciblée » mord un humain, il fait les nouvelles nationales, à un point tel que de nombreux chiens ont été désignés à tort comme faisant partie d’une race interdite afin d’ajouter une pointe de sensationnalisme à l’histoire. Par conséquent, le grand public est poussé à croire, à tort, que tous les chiens de cette race en particulier sont dangereux en soi.

Qu’est-ce qui dessine cette tendance? Ce sont les gens et les médias. On fait miroiter au public que les lois interdisant certaines races de chiens constituent une protection béton qui réglera le problème de façon permanente tandis que de l’autre côté de la clôture, les personnes qui veulent utiliser un chien à des fins illégales ou inappropriées voient leur croyance à l’effet que ce chien lui apportera pouvoir ou notoriété renforcée. Les lois interdisant certaines races de chiens attirent le pire des deux mondes. Elles entraînent également d’autres conséquences destructrices : elles divisent et polarisent notre communauté. Tous les propriétaires de chiens responsables qui possèdent un chien visé par la loi sont stigmatisés voire même persécutés par ceux qui tentent de justifier l’interdiction de ces races à titre de solution. Les amis de ces propriétaires de chiens qui savent qu’ils sont des animaux bons, équilibrés et sans danger en raison de leur exposition à un animal sous la tutelle d’un propriétaire responsable sont également entraînés dans la bataille, tout comme les propriétaires responsables dont le chien ressemble à ceux interdits ou qui craignent que leur race soit la prochaine ciblée. Les personnes que nous devons appuyer à titre de leaders dans la communauté, les propriétaires de chiens responsables, sont mis de côté. Des millions de dollars sont engagés dans des batailles devant les tribunaux au sujet de ces lois plutôt que pour régler le problème. À mesure que les listes de races interdites s’accroissent en raison du nombre de morsures qui augmente, le problème prend de l’ampleur.

L’an dernier, les Pays-Bas ont retiré les interdictions de races après plus de vingt ans passés à tenter de régler le problème des chiens agressifs par l’interdiction : la science a clairement prouvé que l’interdiction de certaines races n’entraînait pas une diminution du nombre d’attaques de chiens. De façon similaire, l’Italie, qui était probablement le pays doté du plus grand nombre de races interdites, en est venue à la même conclusion : l’interdiction n’avait aucune incidence sur le nombre d’attaques de chiens; elle a donc retiré l’interdiction.

Dans les faits, les races interdites ne sont pas sur-représentées en termes de morsures par rapport aux autres races, mais la perception est tout autre. Il ne s’agit pas d’un nouveau phénomène : au début des années 1900, le limier était considéré comme étant le chien du diable. Dans les années 1960, le berger allemand a été placé sous les projecteurs, suivi du doberman-pinscher dans les années 1970, du rottweiler dans les années 1980 et du pitbull dans les années 1990. Dans les années 2000, plusieurs variétés de mastiffs, comme le cane corso, le presa canario et d’autres, subissent le même sort.

La réponse réside dans la compréhension des raisons qui poussent un chien à mordre. Tous les chiens peuvent mordre et le feront dans certaines circonstances. Si les lois interdisant certaines races de chiens étaient crédibles, il serait raisonnable de s’attendre à ce que tous les chiens d’une race choisie mordent. Ce qui est ironique, c’est qu’un très petit nombre d’entre eux mordent les gens. Donc, qu’est-ce qui séparent les chiens qui mordent de ceux qui ne mordent pas? Le comportement du maître. La réalité est que nous sommes confrontés à un problème chez les humains, et non pas chez les chiens. Comment peut-on autrement expliquer pourquoi un chien d’une certaine race sera extrêmement agressif envers les humains et dangereux et qu’un autre de la même race sera doux, bien élevé et sans danger?

On peut placer les propriétaires de chiens agressifs en deux catégories générales : les personnes qui, délibérément, vont inciter le chien à devenir agressif, habituellement à des fins illégales ; et les personnes qui sans le vouloir rendent un chien agressif à cause d’un manque de connaissances ou de ressources pour le socialiser, lui offrir un entraînement adéquat, lui faire faire de l’exercice et assurer un leadership, des soins et le contrôle de l'animal.

Il faut traiter ces deux catégories de façon différente. En ce qui a trait aux personnes qui choisissent délibérément d’entraîner leur chien à être agressif, seules les pénalités très sévères et les comparutions devant les tribunaux seront efficaces. Ils doivent faire face à de lourdes conséquences pour leur comportement et des options comme l’interdiction d’être propriétaire d’un chien pendant une certaine période de temps si leur chien a été impliqué dans une agression et une ordonnance de destruction a été prononcée, devraient être envisagées. Trop souvent, ces gens abandonnent volontairement leur animal, qui sera tué, et les accusations portées contre eux sont retirées. Il est impératif que les accusations demeurent et que la personne soit tenue responsable, sans égard à l’abandon ou non de l’animal – nous ne pouvons continuer de laisser les chiens payer pour le crime de leur propriétaire.

En ce qui a trait à la deuxième catégorie, nous devons nous orienter vers l’intervention précoce et les mécanismes de soutien afin d’identifier les divers stades de comportements canins négatifs et d’offrir des services d’orientation et d’aide aux propriétaires afin de d’améliorer le comportement de leur chien avant qu’une morsure ne se produise.

La solution est très simple : il faut cesser de tenter de réglementer le mauvais bout de la laisse. Il faut cesser de réglementer le chien et plutôt se tourner vers le propriétaire en vue d’exiger qu’il change son comportement afin de modifier celui du chien.

Pour comprendre l’agressivité des chiens, le meilleur outil est l’Échelle d’évaluation des risques de morsure de Ian Dunbar qui place les comportements agressifs dans six catégories :

Niveau 1 – Le chien grogne, se penche vers l’avant, se tourne mais aucun contact des dents avant la peau. Comportement de menace.

Niveau 2 – Les dents touchent la peau mais ne la transpercent pas. Peut entraîner une marque rouge ou une ecchymose. Peut entraîner de légères égratignures provenant des pattes et des griffes. Écorchures mineures en surface.

Niveau 3 – Perforation de la peau équivalant à la moitié de la longueur de la dent du chien. Entraîne d’un à quatre trous, une seule morsure. Aucun déchirement ni taillade. La victime n’est pas remuée par le chien. Ecchymoses.

Niveau 4 – Un à quatre trous provenant d’une seule morsure – un ou plusieurs trous équivalant à plus de la moitié de la longueur de la dent du chien, habituellement des perforations de contact avec les canines et d’autres dents. Le chien a pris la victime en serre et l’a remuée. Ecchymoses noires, blessures arrière ou taillades.

Niveau 5 – Morsures multiples de niveau 4 ou supérieur. Attaque concertée ou répétée.

Niveau 6Toute morsure entraînant la mort d’un humain.

Il importe de bien comprendre cette échelle puisque la plupart du temps, le comportement agressif débute au niveau 1 ou 2 et, s’il n’est pas corrigé, dégénèrera jusqu’aux niveaux supérieurs. Ces deux premiers niveaux constituent en fait des indicateurs clairs d’une situation potentiellement dangereuse qui se développe, mais qui peut être renversée à l’aide de mesures appropriées. Les bonnes lois sur les chiens dangereux désignent ces trois différents stades d’agressivité chez les chiens et appliquent les conséquences et outils appropriés afin d’encourager la modification du comportement pour éviter l’escalade à un niveau supérieur.

Par exemple au niveau 1, on impose une amende au propriétaire et celui-ci est éduqué au sujet du comportement du chien et des mesures qu’il doit prendre pour le corriger. S’il y a récidive, le montant de l’amende augmente.

Au niveau 2, on impose une amende plus sévère qu’au niveau 1, et le propriétaire est éduqué et averti quant aux conséquences légales possibles si aucune mesure corrective n’est prise. S’il y a récidive, le tribunal peut émettre une ordonnance relative à un chien dangereux exigeant qu’il soit confiné de manière sécuritaire, ou ordonner au propriétaire de suivre une formation et d’appliquer des mesures de sécurité comme le port d’une muselière.

Au niveau 3, on impose une amende plus sévère qu’au niveau 2, et le propriétaire est également éduqué et averti quant aux conséquences légales possibles s’il ne prend pas la situation en mains. On étudiera la possibilité d’ordonner au propriétaire de confiner son chien de manière sécuritaire, et on pourra lui ordonner de suivre une formation et d’appliquer des mesures de sécurité comme le port d’une muselière et ce même pour une première infraction.

Au niveau 4, on impose une amende plus sévère qu’au niveau 3. On tente d’éduquer, de conseiller et d’avertir le propriétaire quant aux conséquences possibles s’il n’y a pas de modification du comportement. S’il s’agit d’une première infraction, une ordonnance relative à un chien dangereux peut être envisagée et ce peu importe le niveau d’agressivité de celui-ci. S’il s’agit d’une récidive ou d’un comportement qui s’est aggravé, une ordonnance relative à un chien dangereux est requise et peut donner lieu à une ordonnance de tuer l’animal en fonction de l’étude du cas en particulier.

Au niveau 5, on impose une amende beaucoup plus sévère qu’au niveau 4. Le chien doit être mis en fourrière et gardé dans l’attente d’une évaluation comportementale et de l’audience relative à un chien dangereux afin de déterminer les conditions à respecter ou la recommandation d’euthanasie pour la sécurité publique.

Les agressions de niveau 6 dépassent la portée des ordonnances et sont visées par les Affaires criminelles de la police.

Par l’entremise de ce processus, la majorité des problèmes peuvent être corrigés avant d’escalader vers les niveaux supérieurs, et les propriétaires problématiques sont rapidement surveillés par les autorités. Le propriétaire réalise souvent au cours des premiers stades qu’il est incapable de gérer le chien de manière adéquate et le confiera à d’autres de sorte qu’il puisse être réhabilité et placé dans un foyer apte à bien s’en occuper. En aucun cas l’abandon volontaire d’un chien afin qu’il soit euthanasié ne doit changer les accusations portées contre le propriétaire ou le dégager de sa responsabilité quant au comportement du chien.

Il s’agit, en résumé, du processus utilisé par la ville de Calgary qui a permis de réduire de façon considérable le nombre d’incidents impliquant un chien agressif sans avoir recours à l’interdiction de certaines races ni à des limites concernant le nombre d’animaux permis dans un foyer. En 2009, cette ville de 1,1 million d’habitants a connu 58 incidents de morsures de chiens de niveaux 3, 4 ou 5 (ceux du niveau 5 étant très rares). Il n’y a eu jusqu’à présent aucun cas d’attaque mortelle.


La caacQ remercie Monsieur Bill Bruce d'avoir autorisé la traduction et la publication de son texte.

 
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